Innovation stratégique : comment oser inventer l’avenir dans un contexte turbulent ? 1/2

C’est le taureau indomptable. L’innovation impressionne, fait peur, puis est rejetée comme une pratique en décalage avec la période. Elle est adorée, financée, débudgétée, célébrée puis délaissée. Il n’a jamais été facile d’innover. Encore moins en 2025.

Si l’innovation est la capacité d’une organisation à réinventer sa différenciation, à créer l’offre de demain, à accélérer, à répondre aux défis à venir, plusieurs paramètres de cette définition sont aujourd’hui challengés : la notion de futur, la capacité à créer collectivement dans un présent bouleversé, la capacité à définir ce qui va constituer une rupture, la capacité à créer le meilleur futur pour notre société.

  1. Le futur n’est plus inspirant : celui-ci est passé en quelques décennies d’une espérance de progrès à une confusion d’horizons : le moyen terme est en pleine incertitude, le présent chahuté par de nombreuses turbulences.
  2. La capacité à créer collectivement est en panne : l’inquiétude permanente, le futur anxiogène, l’absence d’imaginaire, le manque de visibilité économique, n’encouragent plus à se projeter, à créer, à innover.
  3. L’opposition marquée entre innovation pragmatique et de rupture : il n’y a plus de mode dans l’innovation, ni de pensée claire. D’un côté, l’effectuation (Saras Sarasvathy) prône une approche pragmatique où l’entrepreneur avance avec les ressources disponibles et s’adapte aux opportunités émergentes, de l’autre, l’innovation de rupture (Clayton Christensen) développe l’idée d’un changement radical qui transforme les marchés par des concepts totalement nouveau. Les experts débattent, les opérationnels se détournent. En opposant ces deux visions, on freine, on divise. La dynamique d’innovation ne trouve plus son souffle.

Et si le questionnement sur l’innovation n’était pas au bon niveau explicatif ?

Ces dernières années, s’est joué une compétition sur les offres, les technologies et leur capacité à faire système. Les innovations ont abouti à des plateformes (Google, Amazon, Netflix, Blablacar…), structurant des ensembles interdépendants de technologies et de services, générant des valeurs d’usage combinées, des modèles d’affaires pluriels, des dynamiques touchant au fonctionnement de nos sociétés. Dès lors, moins innover, c’était déjà moins de création de valeur pour alimenter nos engagements économiques, c’est aussi désormais moins d’influence dans le jeu mondial pour promouvoir des modes de vies qui nous ressemblent, qui correspondent à nos valeurs.

Ce qui se joue désormais, c’est une compétition sur l’évolution de notre modèle de société, notre éthique, notre rapport à l’avenir. La transition, l’économie circulaire, l’IA, la santé, le vivant, l’alimentation, la mobilité, l’habitat et la ville, l’eau, la biodiversité, les services à la personne, la culture, nous le savons, sont au cœur de la réinvention de notre société. Réussir la transition implique une dynamique d’innovation plus que significative. Dans le même temps, d’autres ensembles géographiques dans le monde, s’inscrivent dans des conceptions différentes, propagent leurs solutions, façonnent à leur manière un autre avenir. Innover n’est plus seulement répondre à un besoin d’évolution ou créer une opportunité de marché. Innover, c’est nourrir une certaine conception de l’avenir.

L’innovation en continuelle réinvention

Vers quoi alors l’innovation d’aujourd’hui est-elle en train d’évoluer ? Conscientisée comme une méthode depuis la fin du XIXe siècle (Edison, 1880) pour accélérer le progrès et le développement des entreprises, l’innovation a longtemps été considérée comme un exercice soumis au plus grand secret. Ce n’est qu’en 2003 qu’un certain Henri Chesbrough bouleverse la donne avec l’Open Innovation. Celui-ci révèle que la différenciation peut se jouer à l’inverse par l’ouverture et collaboration renforçant alors la pertinence, le flux, la vitesse, la capacité agrégative. Depuis lors, l’innovation participative et collaborative a permis de générer des innovations de plus en plus complexes à un rythme de plus en plus soutenu. Pourtant, ces toutes dernières années, l’innovation semble à nouveau stagner, se chercher… Que se passe-t-il ?

L’innovation devient, plus que jamais, stratégique

Si l’innovation est la capacité d’une organisation à répondre à son questionnement d’évolution, force est de constater, qu’aujourd’hui, l’innovation change de niveau de questionnement. Remise en perspective…

Premier niveau de questionnement (1920 – 1980) : l’innovation a d’abord été déterminante pour créer de la valeur, satisfaire ses clients, différencier l’entreprise par des technologies, des procédés, des concepts marketing. Il s’agit d’un enjeu de compétitivité. L’innovation se veut être la meilleure réponse à un problème client.

Deuxième niveau de questionnement (1980 – aujourd’hui) : l’innovation a ensuite été systémique dans sa genèse (open innovation) et dans sa capacité à engendrer des usages, une expérience, (UX) en étant pensée à partir de l’utilisateur (design thinking), associée à un business model complexe (écosystème ou plateforme). Le défi relevé est celui de l’intégration sociale. L’innovation génére le système qui fait fonctionner une partie de la société et permet de tenir durablement un marché (GAFAM).

Troisième niveau de questionnement (aujourd’hui…) : L’innovation doit désormais permettre à la fois de relever des défis à plusieurs horizons associés à des enjeux majeurs – transition écologique, économie circulaire, intelligence artificielle, technologies quantiques, raréfaction des ressources, géopolitique, énergie décarbonée, alimentation saine, démographie, santé – tout en impliquant une diversité croissante de parties prenantes (producteurs, utilisateurs, acteurs, contributeurs…). L’innovation devient la dynamique qui fait basculer la société vers un nouveau système. Elle ne porte pas simplement une réponse à un défi mais un choix de société. Son enjeu ? Mettre en œuvre le meilleur futur possible. En ce sens, elle devient véritablement « stratégique ».

L’innovation stratégique – ainsi nommée – engendre une innovation systémique multi acteurs porteuse d’un parti pris positif en regard de l’avenir. Comment cette innovation stratégique se définit elle ? Comment s’active-t-elle comment se différencie-t-elle des autres ?

C’est ce que nous verrons dans notre prochain article… : comment oser inventer l’avenir dans un contexte difficile ? 2/2